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Réforme des AOC?
Restera-t’il une place dans l’AOC pour les vins de signature ?
En tant que viticultrice en Bourgogne je suis sensée ne pas ressentir les effets de la crise et ne pas me poser de questions sur les AOC, qui règnent ici de façon quasi exclusive. Pourtant depuis quelques années je ressens un décalage
- entre ce que l’on dit de la santé économique des exploitations bourguignonnes et ce que je constate,
- entre l’idée que je me fais de l’AOC, et ce qu’elle tend à devenir.
Lorsqu l’INAO a entrepris la réforme des AOC, j’ai fait partie des personnes qui ont poussé pour que notre syndicat (appellation Hautes-Côtes) entre dans l’expérimentation. Il me semblait qu’en y travaillant de l’intérieur, je pourrais mettre mon énergie à la construction d’un agrément amélioré. Aujourd’hui le constat est amer :
- nous avons travaillé, passé des heures et des heures en réunions
- nous avons fait des propositions à l’INAO
- mais l’INAO nous impose sa vision des choses, depuis Paris
- et ’agrément en cours de mise en place ne correspond pas, à mon sens, à l’esprit « appellations d’origine ».
Concrètement l’INAO est parti sur une certification de type industriel : cahier des charges, définition de la typicité, simplification des appellations.
Non seulement je pense que cela n’améliorera pas la qualité des vins Français d’AOC, mais j’ajoute que ça ne va pas non plus améliorer la santé de nos entreprises. Je pense que nous avons tout à perdre dans l’application de cette réforme.
En visant à industrialiser les process, certes on réussit à éliminer les petits vins, mais on élimine également ce que j’appelle les « vins de signature », qui sont potentiellement de grande qualité… et qui permettent d’occuper des niches très différentes, et source de grande plus-values. Le moment est venu de prendre des exemples précis.
Avec la réforme, nos décrets deviennent des cahiers des charges. Pourtant dans nos décrets le principal était posé. Etait-il seulement mis en pratique ? Ces cahiers des charges, que nous sommes nombreux à refuser actuellement de signer, en Bourgogne, ne sont qu’une liste infiniment précise de points à respecter. Ainsi, ils viennent figer des pratiques sur la base de la moyenne actuelle (années 2000).
- d’une part ils orientent les pratiques vers la moyenne, on y revient
- d’autre part ils empêchent toutes les évolutions qui permettraient au vignoble français de s’adapter, comme il l’a fait à travers les siècles.
Quid des démarches particulières, pourtant très respectueuses du terroir, très peu interventionnistes, en outre validées par de belles réussites commerciales ?
Lorsque nous disons à nos responsables de l’INAO : « attention, certains grands de Bourgogne pensent à quitter le navire » il nous est répondu « qu’ils essayent »…
Que penser d’une situation où le vin de table, bientôt « vin de France », devient le refuge pour les vignerons consciencieux, travaillant à petits rendements, des terroirs à fort potentiel, produisant des vins qu’ils osent faire avec du raisin mûr, et vendus fort cher ?
Personnellement je prends cette voie là. En effet, rester dans l’AOC, telle que nous sommes en train de la fossiliser, me conduirait à des concessions inacceptables. Pour maintenir des coûts de production faibles, afin de rester dans une fourchette de prix très étroite, imposée par ce nouveau schéma, je devrais :
- augmenter mes rendements
- augmenter mes surfaces vendangées à la machine
- limiter les opérations de tri, onéreuses<
- éviter tout risque en vinification (et donc systématiser le sulfitage, la chaptalisation, la filtration, etc…).
Or, après 17 années passées à faire du vin, je n’en suis plus là…
Je rêve de pouvoir passer assez de temps dans ma vigne pour améliorer le palissage et diminuer les traitements, tout en rentrant un raisin mûr et sain.
Je rêve de vendanger à la main, pour ne pas blesser les baies, et respecter ainsi leur potentiel,
Je rêve de ne rien ajouter à mes raisins, si ce n’est un peu de sulfites pour qu’ils puissent voyager sans casse, et se conserver correctement
Je rêve de mettre mon nom sur mes bouteilles, sans honte, sans jugement à l’emporte pièce, de la part notamment de mes collègues
Je rêve de continuer à faire plaisir à tous mes clients pour qui cette démarche a du sens, d’autant que le résultat leur procure visiblement émotion et plaisir.
Et je rêve de continuer à vivre de ce métier que j’aime…
Cela sera-t’il possible dans l’AOC de demain ? J’en doute de plus en plus…
Claire Naudin
16 novembre 2008
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